Homeric

Guide Scrum 2020 #3 - Objectifs produit

Vincent Pavero,

On continue la série sur le nouveau Scrum Guide avec le principal changement de processus: l'arrivée d'un nouvel artefact Scrum avec les Objectifs Produits! Un ajout qui ne manquera pas de faire jaser et de créer quelques défis dans les organisations ;-)

Un nouvel artefact

Le guide Scrum pourra bien sur vous fournir tous les détails sur l'arrivée des objectifs produit. En résumé, il est maintenant attendu pour les équipes de Scrum, en plus du backlog, de mettre en place des objectifs produit. C'est à dire des objectifs qui permettront de confirmer (ou non!) si les différentes fonctionnalités développées ont permis de livrer la valeur attendue, pour l'utilisateur comme pour l'entreprise.

Aussi, et c'est là que ça devient intéressant dans une démarche de transformation numérique, c'est la personne jouant le rôle de product owner de l'équipe Scrum (donc le product manager dans la plupart des cas) qui doit établir ces objectifs produit. Ces objectifs doivent bien sur êtres établis en collaboration avec les parties prenantes et les gestionnaires, mais à la fin c'est le product manager qui établit sa liste d'objectifs. Ça parait simple mais dans la majorité des équipes, les objectifs arrivent souvent "d'en haut" ou des opérations/ventes/marketing et ce n'est pas comme ça que les équipes de haute performance fonctionnent.

Comment définir ces objectifs ? Ils doivent bien sur être rattachés aux différents aspects d'un produit: valeur, utilisabilité, faisabilité et viabilité. Et il y a toujours deux cotés à la médaille: On veut un objectif centré sur l'utilisateur pour montrer que le produit que l'on fournit remplit sa mission mais on veut aussi un objectif centré sur l'entreprise car quoi que l'on fasse, ça doit aussi fonctionner pour notre organisation. Avoir l'un sans l'autre est non viable.

Quelle durée pour ces objectifs produit? Attendre un an pour valider un objectif est évidemment beaucoup trop long. Attendre des résultats tangibles toutes les semaines ou deux est aussi évidemment trop rapide car cela empêcherait l'équipe de s'attaquer aux vrais problèmes à régler. On se retrouve alors avec des objectifs mensuels ou trimestriels. À moins d'être déjà très bien organisé et outillé pour livrer des résultats tangibles chaque mois, une approche trimestrielle est un bon point de départ. Vous pourrez ensuite raffiner en fonction de la réalité de votre produit et de votre organisation.

Les critères de succès sont essentiels

C'est un sujet que je me retrouve à aborder très souvent. Cela me surprend toujours de voir comment le concept d'objectifs est si peu ou si mal utilisé. C'est un des différentiateurs importants entre les équipes de haute-performance et les autres.

Alors vous avez surement un ficher excel avec des objectifs quelque part,  des OKRs de la direction ou encore des tableaux de bord plein de KPIs et de métriques. Ces objectifs sont souvent utilisés pour parler du futur, quand on fait une roadmap ou qu'on essaye de vendre notre idée. "Si on développe telle fonctionnalité, on pourra viser 1,000 clients supplémentaires parce que A, B et C!"

Les objectifs commencent ensuite à s'estomper dans le présent. Souvent mal définis, trop nombreux et surtout pas assez concrets pour permettre la prise de décision, on les met de côté petit à petit. Arrive alors le pire, on commence à les changer en cours de route ce qui casse toute la valeur de définir des objectifs. Et quid du passé? Qui regarde les objectifs des années ou des trimestres passés? Quasiment plus personne. On est déjà passés à d'autres objectifs et à la nouvelle mode.

Alors que font les équipes qui augmentent leur performance grâce à des objectifs? Il y a d'abord une réflexion en profondeur sur les objectifs et la façon de les transformer en objectifs quantifiables. Ça demande des heures de réflexion. Il faut ensuite regarder les dépendances des métriques les unes avec les autres. Beaucoup sont liées et il s'agit de trouver la métrique qui va piloter les autres. Ça prend encore des semaines de travail et une connaissance en profondeur du produit pour démêler tout cela. Ça demande d'ailleurs une connaissance avancée qui fait que  seule l'équipe peut vraiment définit les objectifs. On se rend compte alors que souvent il n'y a que quelques indicateurs qui font une différence. Enfin, les équipes gardent leur focus sur ces objectifs et les discutent en permanence (chaque semaine!). Avez-vous une discussion hebdomadaire, entre gestionnaires de produit, designers et développeurs sur les objectifs qui sont également discutés avec les exécutifs et parties prenantes? Demander à un développeur, à un designer et même parfois au gestionnaire de produit quel est le taux de roulement (churn rate) des clients  est un bon test, quel serait la réponse dans vos équipes? Partagez votre réalité dans la discussion sur Twitter ou Linkedin ! ;-)

Un défi de transformation organisationnelle

Pour conclure, parlons un peu de "politique", ou plus précisément, de pouvoir. Dans la culture de haute performance, le pouvoir, c'est à dire la prise de décision, ne vient pas d'en haut, il est donné aux équipes qui sont autonomes pour prendre leurs propres décision. C'est aussi bien valable pour une équipe de développement chez Amazon que pour des astronautes ou des pêcheurs en haute-mer. Je pense que c'est exactement pour cela que les auteurs du guide Scrum ont décidé de mettre en place ces objectifs produit. C'est un moyen de forcer le déplacement de la prise de décision vers l'équipe Scrum elle-même.

Le hic bien sur, c'est que dans beaucoup d'entreprise, la prise de décision se fait "en haut". Ne blâmons pas immédiatement les gestionnaire et exécutifs, c'est comme ça qu'ils ont été formés, c'est ce qu'on leur demande de faire et c'est l'héritage de 100 ans de théories de gestion qui ont fait leur preuve dans le monde matériel. Dans la Hi-tech et le numérique par contre, il faut s'adapter et il faut expliquer aux gestionnaires et cadres que leur rôle doit changer. Il faut bien comprendre que quand on a été promu pendant 20 ans parce qu'on était bon à prendre des décisions et structurer le travail, se retrouver tout à un coup dans un contexte ou il faut déléguer la décision est déstabilisant et surtout on ne peut pas se réveiller un matin en sachant tout à coup qu'il faut complètement changer de métier. Il est donc important, même lorsque les relations sont difficiles voire conflictuelles, de travailler tous ensemble pour mettre en place une organisation performante. Cela dit, ne soyons-pas naïfs: le changement doit avoir lieu. Il faut autonomiser les équipes et les gestionnaires et parties prenantes doivent se concentrer sur le coaching et le contexte stratégique.

Alors oui souvent il y a un réajustement au niveau de l'organisation et des gestionnaires qui est nécessaire, mais cela ne doit pas occulter les ajustements qui sont aussi nécessaires du côté des équipes. Il arrive ainsi que les équipes qui souffrent du manque de confiance et d'autonomie de la part part des parties prenantes et des exécutifs ne ... et bien, ne méritent en effet aucunement de prendre leurs propres décisions. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. On ne peut pas vouloir prendre nos propres décisions et ne pas assumer ensuite les conséquences de ces décisions. Et souvent aussi, les équipes restent à trop bas niveau, se concentrant sur l'output, le travail réalisé plutôt que sur l'outcome, les résultats induits par le travail réalisé. Il est donc essentiel pour tous les membres de l'équipe de s'intéresser au contexte d'affaires, aux problématiques des clients et des parties prenantes pour se concentrer sur les résultats et bâtir une crédibilité et une confiance qui permettront aux gestionnaires d'être beaucoup plus ouverts à un transfert de la prise de décision. Ça implique que toute l'équipe produit, ingénieurs, designers et gestionnaires de produit montent d'un cran et s'approprient les problèmes d'affaires qui sont confiés à l'équipe.

Tout comme on ne veut pas que les décisions "viennent d'en haut", la transformation organisationnelle, le changement de culture ne peut pas venir seulement d'en haut non-plus. Ce serait juste une déclaration d'intention. Elle doit se vivre à tous les niveaux et chaque personne, qu'on soit développeur ou VP Marketing, doit proactivement faire sa part en se rappelant que ce qui a fait notre succès individuel ou celui de notre entreprise pendant des décennies n'est pas ce qui fera notre succès dans les décennies à venir. Pas le choix que de se transformer ou une entreprise à-la-Amazon finira par prendre soin de votre marché!